Comment un document diplomatique a-t-il déclenché une guerre mondiale ? L'ultimatum austro-hongrois à la Serbie du 23 juillet 1914, présenté comme réponse à l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, dissimulait en réalité un piège diplomatique. Soutenue par l'Allemagne qui lui avait offert un « chèque en blanc », Vienne exigeait une soumission totale sous 48 heures, transformant une crise régionale en déflagration planétaire. Derrière ses dix exigences explosives – dont l'intervention de juges austro-hongrois en Serbie – ce texte visait à briser la montée du nationalisme slave. Découvrez comment ce prétexte, plus qu'un appel à la paix, fut un défi calculé qui enclencha la Première Guerre mondiale.

- L'été 1914 : la mèche avant l'explosion
- L'ombre de Sarajevo : pourquoi un ultimatum ?
- 23 juillet 1914 : que contenait la note qui mit le feu aux poudres ?
- La réponse serbe : une acceptation presque totale mais un refus fatal
- À retenir : l'ultimatum du 23 juillet 1914 en 3 points clés
L'été 1914 : la mèche avant l'explosion
En juillet 1914, l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo par Gavrilo Princip, lié à la Main noire serbe, offre un prétexte à l'Autriche-Hongrie pour mater la Serbie. Mais le véritable détonateur arrive le 23 juillet : un ultimatum à 10 exigences draconiennes, rédigé avec la garantie du soutien allemand (« chèque en blanc » du 5 juillet).
Le point 6 exige la participation de policiers austro-hongrois à l'enquête en Serbie, une atteinte à la souveraineté. Le délai de 48 heures, expirant le 25 juillet à 17h, est choisi pour isoler la France, dont les dirigeants sont alors en mer. Derrière ce texte se cachent des enjeux géopolitiques : l'Autriche-Hongrie veut affirmer sa domination sur les Balkans. Comment cet ultimatum a-t-il déclenché une guerre mondiale ?
L'ombre de Sarajevo : pourquoi un ultimatum ?
Un archiduc assassiné, un empire humilié
Le 28 juin 1914, l'archiduc François-Ferdinand, héritier de la double monarchie, et son épouse Sophie trouvent la mort à Sarajevo. Gavrilo Princip, étudiant serbe membre du groupe révolutionnaire Jeune Bosnie, tire les coups fatals. Six assassins, formés et armés par la Main Noire avec l'appui de services secrets serbes, avaient planifié l'attentat.
L'Autriche-Hongrie, déjà meurtrie par l'annexion contestée de la Bosnie-Herzégovine en 1908, y voit un complot ourdi depuis Belgrade. Selon cette étude, Vienne accuse la Serbie de permettre une propagande subversive visant à détacher ses provinces slaves. Le Vidovdan, jour anniversaire de la bataille de Kosovo (1389), donne un arrière-fond symbolique à l'acte de Princip, inspiré par le mythe du héros Miloš Obilić.
Les émeutes anti-serbes éclatent dès le 29 juin à Sarajevo. Des dizaines de commerces serbes sont pillés, des églises attaquées. Le gouverneur Oskar Potiorek encourage ces violences, renforçant le désir de vengeance de l'empire face à ce qu'il perçoit comme une provocation organisée.
Le "chèque en blanc" allemand : comment Vienne a obtenu carte blanche
Le 5 juillet 1914, l'Allemagne donne son aval à l'action punitive austro-hongroise. L'empereur Guillaume II et le chancelier Bethmann Hollweg affirment que "l'Autriche-Hongrie doit régler ses comptes avec la Serbie". Ce soutien sans réserve, délivré en pleine démission du ministre des Affaires étrangères allemand, est déterminant.
L'ultimatum du 23 juillet contient dix exigences. Les points 5 et 6, imposant la participation de juges autrichiens en Serbie, visent à entamer sa souveraineté. Le délai de 48 heures, choisi alors que Poincaré et Sazonov sont en mer, paralyse les concertations franco-russes. La réponse serbe du 25 juillet accepte huit points mais refuse catégoriquement l'intervention autrichienne sur son sol.
Le 28 juillet 1914, Vienne déclare la guerre à la Serbie. L'Allemagne, malgré les réticences de Guillaume II jugeant "la guerre inutile", active le Plan Schlieffen. Les Balkans deviennent le détonateur d'un conflit global, illustrant comment un attentat localisé a déclenché la Première Guerre mondiale.
23 juillet 1914 : que contenait la note qui mit le feu aux poudres ?
Une remise calculée pour un effet maximal
L'ultimatum austro-hongrois est remis le 23 juillet 1914 à 18 heures à Belgrade, par l'ambassadeur Wladimir Giesl von Gieslingen. Le choix de l'heure n'est pas anodin : le président français Raymond Poincaré et son Premier ministre René Viviani naviguent alors en mer, revenant d'une visite en Russie. Cette absence complique la coordination entre les alliés de la Triple-Entente.
Le délai de réponse est fixé à 48 heures, une pression extrême pour un État souverain. Selon Wikisource, ce délai est jugé "brutal", visant à étouffer toute médiation internationale. L'Autriche-Hongrie sait que cette courte fenêtre réduit les chances de réaction diplomatique concertée.
Les dix exigences de Vienne : un instrument de soumission
| Point de l'ultimatum | Explication et implication |
|---|---|
| 1 | Suppression des publications anti-autrichiennes : censure imposée à la presse serbe. |
| 2 | Dissolution de la société nationaliste Narodna Odbrana : ingérence dans les associations locales. |
| 3 | Élimination de la propagande anti-Autriche dans l'éducation : contrôle du système scolaire. |
| 4 | Éviction d'officiers et fonctionnaires "anti-autrichiens" : purge de l'appareil d'État serbe. |
| 5 | Collaboration autorisée pour des fonctionnaires austro-hongrois : atteinte à la souveraineté administrative. |
| 6 | Participation d'enquêteurs autrichiens en Serbie : violation directe de la souveraineté judiciaire serbe. |
| 7 | Arrestation immédiate de deux individus identifiés : ordres directs d'un pays étranger. |
| 8 | Interdiction du trafic d'armes via la frontière : accusation de complicité étatique. |
| 9 | Excuses sur des propos hostiles de fonctionnaires serbes : demande d'humiliation. |
| 10 | Notification immédiate de l'exécution des mesures : soumission en temps réduit. |
Le point 6 : pourquoi était-il inacceptable pour la Serbie ?
Le point 6 figure comme l'exigence la plus explosive. Il ordonne à la Serbie d'accepter la présence d'enquêteurs austro-hongrois sur son territoire pour juger les complices présumés de l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand. Selon la BnF, cette intrusion équivaudrait à "une violation inacceptable de la souveraineté serbe".
"Ces exigences portaient une telle atteinte aux droits de la souveraineté serbe qu'il était d'avance certain qu'à moins d'une complète abdication, le Gouvernement de Belgrade ne pourrait les accepter."
La Serbie, malgré l'acceptation de huit points, refuse catégoriquement cette ingérence. Pour un état indépendant, céder sur ce point aurait signifié renoncer à son autonomie judiciaire et légale. Ce refus, bien que circonstancié, est interprété par Vienne comme une déclaration de non-soumission, précipitant la rupture diplomatique.
La réponse serbe : une acceptation presque totale mais un refus fatal

48 heures pour une réponse : comment Belgrade a-t-elle manoeuvré ?
Le 23 juillet 1914 à 18h00, l'ambassadeur d'Autriche-Hongrie remet l'ultimatum à Belgrade. Le Premier ministre serbe, Nikola Pašić, en campagne électorale, est rappelé d'urgence par le Régent Alexandre.
Le gouvernement serbe consulte la Russie, qui recommande la modération tout en assurant son soutien. Belgrade opte pour une acceptation partielle, défendant sa souveraineté tout en évitant une rupture immédiate.
Pašić remet la réponse à 17h00 le 25 juillet, quelques minutes avant l'échéance, masquant un refus stratégique sur un point critique.
Une réponse habile mais vaine : qu'a accepté et refusé la Serbie ?
La Serbie accepte huit des dix exigences ou les redirige vers la Cour internationale de La Haye. Cette diplomatie trompe Vienne, mais l'essentiel reste intact.
- Points acceptés : Condamnation de la propagande, dissolution de la Narodna Odbrana, purges administratives, contrôle frontalier renforcé (points 1, 2, 3, 4, 7, 8, 10).
- Réserves : Le point 5 est accepté sous réserve de clarifications sur la "collaboration".
- Refus catégorique : Le point 6, exigeant l'intervention d'agents austro-hongrois sur son territoire, est rejeté pour "obstacle constitutionnel".
Comme le souligne une étude de l'IFHA, cette résistance, pour ingénieuse qu'elle soit, ne satisfait pas un Empire déterminé.
"Une réponse insuffisante" : pourquoi Vienne a-t-elle rompu les ponts ?
La guerre est maintenant inévitable. C'est une conviction qui s'est répandue dès la réponse serbe connue.
L'ambassadeur autrichien, le baron Giesl, rejette immédiatement la réponse incomplète. Les relations diplomatiques rompues le 25 juillet, l'ambassadeur quitte Belgrade à 18h30, mettant fin à toute médiation.
Malgré l'optimisme du Kaiser Guillaume II, l'Autriche-Hongrie, soutenue par Berlin, déclare la guerre à la Serbie le 28 juillet 1914. La Première Guerre mondiale commence.
L'engrenage fatal : de l'ultimatum à la guerre mondiale
Le 28 juillet 1914 à 11h, l'Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie. L'empire des Habsbourg bombarde Belgrade depuis la rive droite du Danube. Les forces austro-hongroises utilisent la Flottille du Danube avec des moniteurs comme le SMS Bodrog, appuyée par l'artillerie lourde Krupp et Skoda de 305 mm. La Serbie, mal défendue, voit son gouvernement évacué à Niš. Les premiers obus touchent des bâtiments civils à 6h du matin, violant la Convention de La Haye sur la protection des civils. Les Tchetniks de Vojislav Tankosić tentent en vain de détruire le pont ferroviaire sur la Save pour ralentir l'offensive.
Le jeu des alliances et l'activation des plans militaires : qui a mobilisé et pourquoi ?
En 1914, l'Europe est divisée en deux blocs : la Triple-Entente (France, Royaume-Uni, Russie) et la Triple-Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie). Derrière ces alliances officielles, un réseau plus ancien lie les puissances. La Double Alliance de 1879 entre Allemagne et Autriche-Hongrie garantit un soutien mutuel contre une attaque russe. L'Autriche-Hongrie redoute l'expansionnisme serbe et l'influence russe dans les Balkans. La Russie, se sentant protectrice des Slaves orthodoxes, soutient la Serbie malgré les avertissements du ministre de l'Intérieur Piotr Dournovo sur les risques de révolution interne.
- 29 juillet : La Russie ordonne une mobilisation partielle contre l'Autriche-Hongrie, anticipant une réaction allemande.
- 30 juillet : Le Tsar Nicolas II décrète la mobilisation générale face à l'intransigeance allemande, malgré un revirement temporaire sous la pression de Guillaume II.
- 1er août : L'Allemagne active son Plan Schlieffen et déclare la guerre à la Russie. Elle mobilise 3,8 millions d'hommes en 15 jours.
- 3 août : L'Allemagne envahit la Belgique neutre pour contourner les défenses françaises, déclenchant une résistance inattendue.
- 4 août : Le Royaume-Uni déclare la guerre à l'Allemagne pour l'attaque de la Belgique, invoquant ses engagements de 1839.
L'engrenage s'accélère. Le Plan Schlieffen, conçu pour une guerre éclair contre la France, échoue par la résistance belge et l'intervention britannique. La prise de Liège, retardée par les forts belges, nécessite l'artillerie lourde allemande. La mobilisation russe, plus rapide que prévu, force l'Allemagne à combattre sur deux fronts. Lors de la Bataille de la Marne (6-9 septembre), les forces franco-britanniques exploitent une brèche de 40 km entre les armées allemandes, stoppant l'avancée vers Paris. Les alliances militaires, censées dissuader la guerre, deviennent des détonateurs d'un conflit généralisé.
À retenir : l'ultimatum du 23 juillet 1914 en 3 points clés
Ce qu'il faut retenir
L'ultimatum de l'Autriche-Hongrie à la Serbie, déclencheur immédiat de la Première Guerre mondiale, révèle trois enjeux majeurs.
- Un prétexte diplomatique : Conçu pour être rejeté, cet ultimatum visait à justifier une invasion punitive. Malgré l'acceptation de huit points sur dix, le refus des articles 5 et 6 a été exploité pour entamer les hostilités le 28 juillet 1914.
- Un affront à la souveraineté : Le point 6 exigeait une enquête conjointe avec des représentants austro-hongrois sur le territoire serbe. Ce mécanisme, contraire au droit international, a été perçu comme une violation intolérable de l'indépendance serbe.
- Un déclencheur systémique : La réponse serbe a activé les alliances militaires et les plans de mobilisation rigides. L'Allemagne, via le Plan Schlieffen, a rapidement entraîné toute l'Europe dans le conflit via ses engagements envers l'Autriche-Hongrie.
Pour aller plus loin
Pour approfondir :
- Les Somnambules de Christopher Clark
- L'attentat de Sarajevo
- Le Plan Schlieffen
L'ultimatum du 23 juillet 1914, miroir brisé de la diplomatie, révèle un texte exigeant soumission totale, précipitant l'Europe dans l'abîme. Entre Vienne exigeant la soumission et les alliances intransigeantes, la guerre fut moins déclenchée qu'accomplie. L'Histoire rappelle que les calculs politiques, bafouant souveraineté et raison, allument des incendies que nulle victoire ne peut éteindre.